t Jean-Dominique Merchet relève que les doctrines d’emploi des forces ne sont pas seulement des réponses à la réalité des engagements militaires aujourd’hui (les inputs quoi…, la doctrine étant l’output) mais aussi le reflet des intérêts des individus et organisations qui les construisent et qui les diffusent. C’est évidemment tout à fait exact et pas précisément original. Les Marines tels que nous les connaissons aujourd’hui avec leur spécialisation amphibie sont nés de la nécessité pour le corps de se trouver une raison d’être pendant les années 20 et 30 alors que leur rôle de police coloniale en Amérique du Sud touchait à sa fin. La guerre du Pacifique fut la validation de cet effort et explique encore aujourd’hui les spécificité du corps et son attachement à l’amphibie. Le corps ne veut pas devenir une deuxième US Army, ce qui finirait tôt ou tard par poser la question de son existence même. Les armées de l’air se sont inventés une doctrine stratégique pour justifier leur indépendance par rapport aux armées de terre. C’est un constat finalement banal que certaines idées triomphent au moins autant si ce n’est plus parce qu’elle servent les intérêts des bureaucratie qui s’en font les promoteurs qu’à cause des nécessités opérationnelles immédiates.
Cela dit, est-ce bien le cas pour la contre-insurrection? Cela ne semble pas être la cas.Oui, on peut dire que le redécouverte ou l’émergence (peu importe le terme….) de la contre-insurrection en Irak est une sorte de revanche des généraux “traditionalistes” sur le secrétaire à la Défense Rumsfeld et sa volonté de transformation des armées américaines (comprendre encore plus de technologie, encore moins d’hommes). La phase initiale d’invasion aurait été bien différente avec les seul généraux américains au commande. Mais la suite se serait sans doute dérouler de la même façon car la haute hiérarchie militaire US n’avait pas mieux compris que Rumsfeld les enjeux du conflits irakiens. Ils seront tout comme lui, surpris et dépassés par l’insurrection sunnite puis à partir de 2006 par la guerre civile. Cette revanche s’est payé très cher. L’émergence de la doctrine de contre-insurrection américaine n’est pas du tout un triomphe de la Big Army traditionnelle. C’est au contraire une remise en cause profonde de ses habitudes marqués par un attachement fort au modèle de la guerre conventionnelle et un rejet total de la mémoire du Vietnam. Encore aujourd’hui l’US Army a toujours des difficultés à absorber cette nouvelle culture. Par ailleurs les conséquences budgétaires de ce triomphe apparent de la COIN n’ont vraiment pas été favorable à l’US Army qui a été contraint d’abandonner son grand programme de modernisation, le “Future Combat System”. Les évolutions doctrinales viennent à point pour soutenir l’US Army contre l’Air Force et la Navy, c’est parfaitement clair et les tout les services l’ont compris. Pour prospérer, il faut justifier son utilité dans la “Guerre contre le terrorisme “. Comme le dit si bien l’Air Force: “leveraging the War on Terror”. Il n’en reste pas moins que quelque soit les bénéfices budgétaires, la COIN n’est pas un instrument au service de l’US Army mais une arme pour la réformer de l’intérieur. Si l’US Army avait vraiment eu ce qu’elle voulait, la contre-insurrection n’existerait toujours pas, la RMA serait toujours au programme mais sans les réformes et le micro-management de Rumsfeld et l’énorme programme FCS serait toujours sur les rails.
Le cas français est un peu différent.Mais fondamentalement, ce qui sert l’armée française et un peu la marine (on cherche toujours une mission pour l’armée de l’air T_T) ce n’est pas la contre-insurrection. C’est l’idée qui perdure depuis le début des années 90 que la défense de la France doit se faire loin de ses frontières et par conséquent que des interventions extérieures sont nécessaires. On cherche en vain ce que la COIN vient changer dans cette équation. La contre-insurrection s’intègre assez bien finalement dans le panel des missions qu’effectue l’armée française depuis la fin de la guerre froide. Le général Rupert Smith a inventé l’expression “guerre au sein des population” tant utilisée aujourd’hui en réaction aux opérations de maintien de la paix en ex-Yougoslavie, bien avant l’Afghanistan et le retour de la contre-insurrection. Le maintien de la paix et la contre-insurrection sont des missions différentes mais tout de même connexes avec de fortes similitudes.
Pour conclure, on ne voit pas très bien en quoi la contre-insurrection serait un argument particulièrement puissant pour les militaires. Le grand problème budgétaire des armées c’est la disparition, pour l’instant, des conflits conventionnels et le grand ami de la COIN aujourd’hui c’est Bercy.