Their finest hour

image007Achevé la lecture de Most Dangerous Enemy, une histoire complète de la bataille d’Angleterre. On y découvre quelques points qui méritent réflexion:

  • Les allemands n’ont jamais eu de stratégie véritablement cohérente pendant l’été 1940. Le conquête du ciel était un préalable indispensable à toute opération que ce soit une invasion ou un siège en règle de l’île. Or ils n’ont jamais eu une idée précise de la manière d’atteindre cet objectif. Leur stratégie s’est résumée de juillet à septembre à tenter d’attirer dans les airs un maximum de chasseurs anglais dans l’espoir de les éliminer. Cette stratégie d’attrition était vouée à l’échec. En septembre 1940, la RAF comptait 20% de pilote de chasse de plus par rapport à 1940. L’Angleterre produisait des chasseurs et des pilotes plus vite que la Luftwaffe pouvait en détruire ou tuer.
  • Cet absence de stratégie s’explique en partie par la médiocrité du renseignement allemand qui sous-estima constamment la production industrielle adverse et fut incapable de comprendre le fonctionnement des défenses anglaises. Si les radars et les aérodromes sont visés en septembre 1940, c’est comme un moyen d’attirer les chasseurs anglais dans le ciel et la méthode sera vite abandonnée au profit de bombardement au-dessus de Londres. Quoiqu’il en soit à aucun moment les dommages contre les stations radars et les aérodromes ne purent substantiellement amoindrir les capacités de la RAF.
  • Le rapport de force dans les airs était loin d’être aussi déséquilibré qu’on ne le pense. Là où les allemands pouvaient envoyer 500 chasseurs Me-109 pour escorter un raid massif, la RAF alignait sur l’ensemble du territoire plus de 600 Hurricane et Spitfire.
  • Le rapport de force était d’autant mieux égalisé que la RAF avait organisé dès la fin des années 30 un véritable système de défense aérienne intégré alliant radars, observateurs au sol, bases aériennes et centres de commandement et de contrôle, le tout distribué sur l’ensemble du territoire.
  • La Luftwaffe faisait face au problème traditionnel de l’attaquant, il faut non seulement défaire l’ennemie mais en plus conserver des forces pour exploiter la victoire. La RAF n’avait qu’une seule chose à faire, difficile certes mais pour laquelle elle était préparée, survivre. Or le rapport de force n’a jamais été suffisamment déséquilibré pour permettre cela. Il aurait fallu que la chasse allemande atteigne un ratio de 5 victoires contre 1 perte pour détruire la RAF et conserver une force suffisante pour la suite des évènements. La Luftwaffe n’avait ni le nombre, ni la supériorité technique (pilotes et machines) pour atteindre un tel ratio.
  • Rétrospectivement et même si les contemporains n’en avaient pas conscience, il aurait été surprenant que la Luftwaffe remporte la bataille d’Angleterre. Les anglais avaient les avantages d’un défenseur bien préparé et les allemands étaient incapables d’atteindre la supériorité numérique en chasseur nécessaire pour l’emporter dans le meilleur des cas. Belle démonstration de la supériorité de la défense sur l’attaque, Clausewitz aurait été content.

The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783

Il a déjà été question ici d’Alfred Taylor Mahan. Mahan est sans doute le plus connu des théoriciens de la guerre navale. Aujourd’hui vieux de plus d’un siècle, ses travaux restent pourtant riches d’enseignement.

En effet Mahan cherche à montrer à ses concitoyens l’importance de la puissance et les règles qui en encadrent l’exercice. Son ouvrage majeur, The « Influence of sea power upon history 1660-1783 », s’intéresse à la stratégie et ne touché que marginalement la tactique même s’il porte une attention particulière aux récits et à l’analyse des batailles.

Pour Mahan, l’objet fondamental de la stratégie navale est la maîtrise de la mer c’est-à-dire la capacité à faire usage de la mer et dénier son utilisation à son adversaire. Celle-ci peut être totale, c’est-à-dire s’exercer sur la totalité de l’espace considéré, ou locale, c’est-à-dire s’exercer sur une partie de l’espace de manière temporaire. Car quel que soit la finalité de la guerre, si celle-ci doit dépendre de la mer alors la seule manière de s’assurer du succès de l’entreprise est de la contrôler.

Mais comment s’assurer la maîtrise de la mer. C’est là qu’intervient la thèse centrale de Mahan et aussi la plus controversée. Pour l’américain, la maîtrise de la mer ne peut être obtenue que par la destruction de la force navale ennemie. Tant que celle-ci  ne sera pas détruite, tous les gains obtenus qui dépendent de la puissance maritime sont susceptibles d’être remis en cause. Pour lui, les opérations dans les caraïbes au cours du XVIIIème siècle en sont la plus claire démonstration. Il n’a de cesse au cours des 500 pages de son ouvrage de critiquer les stratèges, surtout français, qui considère les opérations navales sont soumises au déroulement des opérations terrestre et plus largement aux objectifs de la campagne. Si la flotte est nécessaire à leur succès, alors le meilleur moyen de réussir est de détruire tout affaire cessante les forces susceptibles d’empêcher la réussite de l’opération. C’est cette insistance sur la destruction de la force ennemie qui peut faire dire que Mahan est influencé par Jomini qui est d’ailleurs cité directement.

Mais pourquoi obtenir la maîtrise de la mer ? Quelles sont les caractéristiques qui rendent la puissance maritime si désirable ?

Bien entendu, nombre de campagnes militaires ont dépendu pour leur succès du ravitaillement venu de la mer. L’océan est bien souvent l’artère vitale par lequel passe les flux logistiques. Mais s’en tenir là, c’est toujours subordonner la puissance maritime au besoin de la puissance terrestre. A partir de l’étude historique des conflits de 1660 à 1783, Mahan entend aller bien au-delà. Selon lui, les effets dévastateurs de la puissance maritime sont souvent moins spectaculaires que les opérations terrestres. Ses effets sont plus insidieux et dans la durée. Grâce à la guerre de succession d’Espagne, Mahan montre comment la maîtrise complète de la mer a permis aux anglais de s’enrichir considérablement. Pour lui, la destruction du commerce français a causé l’asphyxie économique de la France, la condamnant à un effort épuisant pour tenir seul face à une coalition entretenu par la richesse du commerce maritime anglais. C’est par la mer que circulent les richesses du monde. C’est une thèse qu’il convient de méditer alors que 70% du commerce de la France dépend des océans. Nous vivons dans un monde guère éloigné de Mahan.

Mais cette insistance sur le rôle fondamental du commerce maritime n’aboutit pas à une remise en cause du principe central qu’est la destruction de la force adverse. Celui-ci reste premier et est la condition nécessaire au succès de toutes entreprises ultérieures. Là encore, l’exemple de la guerre de succession d’Espagne est très parlant. Alors que les corsaires français ravageaient le commerce anglais, jamais celui-ci ne fut plus prospère. Malgré la guerre et même grâce à elle, l’Angleterre s’enrichissait. C’est la preuve pour Mahan que la guerre de course, avec des corsaires au XVIIIème ou avec des sous-marins au XXème, n’est qu’une illusion.

On le voit, les thèses de Mahan nous interpelle encore aujourd’hui. Le développement de la puissance maritime chinoise ne suit il pas exactement la logique de Mahan ? Celle-ci suit le développement économique de la Chine, à mesure que ses ports s’ouvrent sur l’extérieur, que ses cargos partent toujours plus loin, les navires de l’APL derrière eux.

Lectures du jour

Si par hasard vous mettez la main sur le DSI de Novembre 2009 , ce qui est tout de même par principe fortement recommandé,  lisez l’article du capitaine de corvette Olivier Buard.  Il s’agit d’une analyse de la célèbre bataille de Qadesh qui opposa les égyptiens au hittites. Dans le genre « rien de nouveau sous le soleil », c’est un article merveilleux.  Avec pour conclusion: « les réponses aux problèmes stratégiques actuels et futurs ne sont pas à inventer, mais simplement à retrouver ». Le future est écrit dans le passé.

Autre article tout à fait intéressant sur les voies maritimes arctiques dans le numéro de novembre-décembre 2009 de Diplomatie. Il donne un aperçue plus réaliste de l’avenir du mythique passage du nord-ouest qui en fait ne sera pas si facile que ça à utiliser.

Edito AGS:Naissance de la folie

MAD, mutual assured destruction ou autrement dit, destruction mutuelle assurée. Ce sigle représente à lui seul la guerre froide. L’idée selon laquelle les deux grands, les USA et l’URSS, disposaient de suffisamment d’armes nucléaires pour s’anéantir mutuellement, rendant ainsi inconcevable toute confrontation directe entre les deux puissances sur le théâtre européen.

Mais d’où viens cette expression et l’idée qu’elle recouvre? L’origine n’est pas évidente, MAD est l’un de ces termes qui apparaissent un jour, dans la seconde moitié des années 60 en l’occurrence, dans le langage courant sans qu’il soit possible d’en retrouver aisément l’origine.

Il semble que l’expression « destruction mutuelle assurée » et son acronyme, MAD, ait été inventé par un analyste, Donald Brennan, travaillant dans les années 60 au Hudson Institute fondé par Herman Kahn, le célèbre auteur de On Thermonuclear War. Brennan utilisait ce terme pour critiquer un certain courant parmi les partisans de l’arms control. Pour les partisans de ce courant, la dissuasion nucléaire devait reposer sur un nombre limité d’armes technologiquement peu évoluées des deux cotés, de sorte que la stabilité serait garantie puisque le nombre de tête n’évoluait pas et qu’aucune innovation ne venait changer la donne. La destruction mutuelle était donc assurée, par là même, la guerre nucléaire devenait très peu probable.

Savoir si oui ou non, la doctrine MAD fut la doctrine officielle du gouvernement américain fait l’objet d’un débat mais il semble bien que ce ne soit pas le cas. Même si cela n’exclue pas que la logique de la destruction mutuelle s’installe très largement dans les débats et les discours sur la stratégie nucléaire dès la fin des années 60.

Pourtant, dès son arrivé l’administration Kennedy annonça son intention d’abandonner la doctrine des représailles massives prônées par l’administration Eisenhower. Cette doctrine supposait qu’à toute attaque soviétique, les États-Unis répondraient par des frappes nucléaires. La nouvelle équipe au pouvoir désire une réponse plus flexible aux différents scénarios et entendait réaffirmer le principe de discrimination des objectifs: on vise des cibles militaires, pas des civils.

Ce débat paraît très éloigné de nos préoccupations ordinaires, même en ces lieux. Pourtant ce n’est pas le cas, comme chacun sait le président Obama a annoncé sa volonté de relancer l’effort de désarmement nucléaire. Actuellement les deux grandes puissances nucléaires possèdent encore plusieurs milliers d’engins nucléaires et des centaines de missiles. Ces chiffres étaient entre autre(car il ne faudrait pas exclure les logiques industrielles)rendu nécessaire par le besoin de survivabilité de l’instrument de dissuasion mais aussi de frapper des cibles précises (silos, bases aériennes, centres de commandement…).  Or précisément, il arrivera un moment où, dans cette effort de désarmement, le nombre d’engins deviendra si faible qu’il faudra nécessairement revenir à une logique explicitement anti-population.

Cela ne signifie pas pour autant que le désarment nucléaire n’est pas souhaitable, c’est un tout autre débat, mais l’ironie de la situation mérite d’être relever.

Principe politique et stratégique

La force d’une coalition est toujours inférieure à la somme des forces dont elle dispose sur le papier.

Raymond Aron, Paix et Guerre entre les Nations.

La lecture du chapitre 1,  sur l’articulation de la politique et de la stratégie, devrait être obligatoire à toute personne ayant des fonctions politiques. Il n’a pas pris une ride et est d’une spectaculaire actualité. Tout est expliqué avec une clarté translucide.  C’est une  phrase choisie  au hasard mais il y en a une à chaque paragraphe qui mériterait d’être transformée en aphorisme et clouée aux murs de l’Assemblée Nationale.

Changement de tête en Afghanistan

La presse l’annonce, le general David McKiernan, le commandant de l’ISAF mais aussi des forces américaines en Afghanistan, a vu son tour de 24 mois interrompu. Le secrétaire Robert Gates a indiqué  qu’avec  « une nouvelle stratégie, une nouvelle mission et un  nouvel ambassadeur » , il fallait aussi de nouveaux généraux.

Pourquoi pas? Ce qui est curieux c’est l’identité de son remplaçant: le général  McChrystal. Ce dernier s’est fait connaître comme commandant du Joint Special Operations Command à qui on doit entre autre l’élimination Abu Musab Al-Zarqawi. Son profil est donc orienté opérations spéciales avec des frappes contre des cibles très spécifiques, pas vraiment le profiil auquel on pourrait s’attendre pour une campagne de contre-insurrection en generale moins cinétique ou ,autrement dit, utilisant de manière moins directe la force militaire.

Cela reflète peut être les jeux d’influence autour de la stratégie à Washington. En effet, il semble que deux groupes puissent se distinguer aujourd’hui selon la presse amércaine. Il y aurait les « contre-terroristes » soutenus par le Vice-president Biden qui estiment que des frappes limités au Pakistan et une focalisation sur la lutte anti-terroriste au détriment du nation-building est nécessaire. A l’inverse, il y aurait les contre-insurgés estimant que seul une véritable campagne de contre-insurrection peut véritablement réussir. La nouvelle stratégie n’a à ce titre fondamentalement rien changé car dans sa formulation officielle  actuelle, elle est suffisament vague pour être interpretée de plusieurs manières.

La nomination ne McChrystal dont le type d’opération semble correspondre au profil contre-terroriste semble indiquer de quel coté penche la balance. Mais tout cela reste très hypothétique.

Edit: information complémentaire sur En Vérité.

Les porte-avions

Sur Théâtre des opérations, Yves Cadiou a jeté un nouveau pavé dans la marre. Ce n’est pas tant le PA2( le futur deuxième porte-avions de la marine nationale) qui pose problème que l’idée même d’en posséder.

Ménesglad a déjà fait une réponse dans son commentaire mais nous allons aller un peu plus loin. En effet, il n’y a pas que les affreux terriens qui remettent en cause les porte-avions, outre-atlantique nombreux sont les observateurs remettant en cause l’utilité des porte-avions à l’air des missiles, des redoutables sous-marins nucléaires d’attaque et de la guerre réseau-centré (network-centric warfare).

Parler de porte-avions nous oblige à parler d’avion. L’une des premières utilisations de la 3eme dimension fut la reconnaissance aérienne. Les marins ont compris très vite l’utilité des engins volants pour patrouiller les vastes espaces maritimes. Dès la première guerre mondiale, des dirigeables et des avions furent utilisés dans ce rôle. Dans le même mouvement l’idée de mettre ces engins à bord des navires de combat commença à flotter dans l’air.

L’aviation navale continua à s’affirmer pendant les années 20 et 30. L’aéronavale basée à terre se développa et un nouveau rôle apparu, la lutte anti-sous-marine(ASM).  Alors même que les avions basé à terre voit leur rôle reconnu pour le contrôle des espaces maritimes, on commence à installer des avions sur les navires. Cela donne ceci:

Croiseur Foch Il y aura aussi en France des expériences plus originales comme le porte-hydravions  » Commandant Teste »

Si l’utilité des avions dans le domaine de la reconnaissance était évidente, il en allait tout autrement pour l’attaque.

Entre les zélotes de l’air qui pensait que les bombardiers lourds à long rayon d’action étaient l’arme suprême qui allait bannir le cuirassé des mers et les conservateurs acharnés ne jurant que par le cuirassé( avec une légère protection anti-aérienne), le combat fut pendant les années 30 assez indécis. Néanmoins,  la Royal Navy(RN), la marine impériale japonaise (IJN) et l’US Navy construisent un nombre important de porte-avions. La France n’eut qu’un seul porte-avions dans ces années là: le Béarn. Une nouvelle série était prévue mais suite au désastre de Juin 40, elle ne pu jamais voir le jour.

bearn_1928 A la veille de la guerre, les trois plus grandes marines du monde(l’IJN, l’USN et la RN) possèdent des porte-avions. La Royal Navy possédait 4 porte-avions, l’US Navy en a 7 et l’IJN 10. Ce développement des porte-avions était permis pas le traité de Washington qui limitait fortement la construction de cuirassés et autres navires lourds. Il restait alors les porte-avions dont on pouvait supposer qu’ils joueraient un rôle important mais lequel? Force de reconnaissance à l’avant de la force principale? Ou au contraire, force principale couvert par l’écran de la flotte?

C’est l’expérience de la guerre qui tranchera le débat. Oui, les avions sont capables de détruire une flotte adverse mais contrairement à ce que pensait les zélotes, les bombardiers lourds sont notoirement inefficaces. C’est bien à l’aviation embarquée que revient le premier rôle de traque et de destruction de l’ennemie. En fait, la seconde guerre mondiale illustre la multitude de rôles de l’aéronavale: force d’assaut aussi bien contre la mer que contre la terre mais aussi contrôle de l’espace maritime avec la lutte contre les sous-marins.

C’est donc la première leçon. Pour une marine, l’avions sert à contrôler l’espace maritime et à frapper. Cet un instrument d’autant plus redoutable que la mer couvre 70% du globe et que les grandes concentrations humaines souvent à moins de 200 km de la mer.

Mais le sceptique soucieux de la meilleur utilisation des deniers publiques répond alors que nous ne sommes plus en 1940. Des progrès considérables ont été effectués dans le domaine des missiles, de bombardier intercontinentaux et tant d’autres choses. De sorte que si l’aéronavale paraît encore indispensable, il en va autrement de l’aviation embarqué. De nos jours, un bombardier Tu-160 Blackjack peut décoller du sud est de la Russie et arriver sans encombre au Venezuela. Pendant toute la guerre froide, ce fut un duel permanent entre la glaive de la marine soviétique, les bombardiers et leurs redoutables missiles, et le bouclier de la flotte américaine, ses intercepteurs et à partir des années 70 le système Aegis.

Tu-22M Backfire intercepté par un F-14
Tu-22M Backfire intercepté par un F-14, pour la marine soviétique sa flotte de bombardiers lourds devait être capable de détruire la flotte adverse à l'aide de missiles anti-navire à longue portée.

Le débat n’est pas encore tranché et il faut espérer qu’il ne le sera jamais. Il semble bien en tout cas, que dans le rôle d’interdiction de l’espace maritime, la solution soviétique était viable. Mais c’était une solution limité aux abords de l’espace soviétique. On voit mal une force de ce type réussir à intervenir efficacement jusque dans l’Atlantique Sud. Dans les espaces lointains, le porte-avions conservent alors toute son utilité. Ici émergent donc deux visions stratégiques: l’une défensive, l’autre offensive tourné vers le contrôle des espaces maritimes lointains et l’exploitation de ce contrôle.

Il existe deux autres grandes critiques: 1) La vulnérabilité des navires de surface face aux sous-marins nucléaires modernes et 2) la vulnérabilité face à des navires petits, lourdement armés et opérant en réseau. Ce blog n’est pas vraiment qualifié pour discuter en détail  ces deux problèmes. On se bornera à quelques  observations.

Tout d’abord on rappellera qu’aussi puissant que soit le sous-marins nucléaire, des contraintes opérationnels subsistent. Notamment, et ce n’est pas négligeable, il est difficile de communiquer avec un sous-marin. Le sous-marin moderne est un loup solitaire.

Deuxièmement, on notera la thèse de la mort des grands navires sous les coups de la révolution des missiles et des réseaux informatiques ressemblent beaucoup à la « jeune école » de la fin du XIXeme siècle. C’est une ressemblance très suspecte. Mais on laissera ce débat à des spécialistes compétent. Ils sont d’ailleurs vivement incités à se manifester sur ce blog ou ailleurs.

Si nous supposons que le porte-avions restent l’arme suprême d’une puissance maritime, alors une puissance globale peut difficilement s’en passer. L’équation est simple, perdre un porte-avions, c’est perdre son autonomie stratégique: la liberté de frapper où, quand et comme on l’entend.

Dire que les bases terrestres donnés par des alliés suffisent n’est tout simplement pas possible. Si nous prenons l’exemple de Bahreïn où une base française est en cours d’installation. Il y a deux problèmes:

1) Cette option aurait-elle été disponible si la France ne disposait pas d’un outil militaire crédible au niveau globale, donc d’un  porte-avions?

2) Quand bien même, ce ne serait pas le cas, quand est-il de la fiabilité politique d’un Etat peuplé majoritairement de chiites gouvernés par une minorité sunnite sous la menace permanente de missiles balistiques iraniens?Il est évident que dans une telle situation, la France n’est pas libre de ses mouvements. Elle ne peut intervenir qu’aux termes posés par l’État hôte.

Si on élargis un peu la perspective, on voit bien tout les problèmes politiques que posent les bases aériennes de l’OTAN en Asie centrale. En résumé, le fait que les bases terrestres suffisent n’a absolument rien d’évident. Ce que nous gagnons en économie se perd en flexibilité. Cela ne signifie pas pour autant que le calcul n’est pas valable. Mais il ne fait pas se leurrer, tout à un prix.

Plus généralement, sans porte-avions la France n’a plus la capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération. Il doit désormais y entrer selon les termes choisis par selon les termes choisis par d’autres qui ont cette capacité. C’est à dire les États-Unis d’Amérique. Il ne s’agit pas de dire qu’il est vraisemblable que la France intervienne seul de nos jours ( ce n’est pas impossible mais assez improbable), mais de montrer que sans cette capacité notre influence sur la manière dont doit se dérouler le conflit diminue dramatiquement. On voit mal la France donner des leçon sur la manière de procéder lorsque celle-ci n’a rien à offrir. Pour être écouté, il faut quelque chose à vendre. Cette axiome peut se décliner autrement, pour être pris au sérieux, il faut un gros bâton.

Enfin, on peut difficilement éviter de parler de la tarte à la crème: la guerre des Malouines. Voilà l’exemple moderne parfait. Sans porte-avions, cette affaire aurait été un désastre de première grandeur pour le Royaume-Uni. La crédibilité internationale du pays aurait été irrémédiablement atteinte. La France avec le deuxième domaine maritime du monde peut difficilement éviter de méditer cette exemple.

Pour conclure, derrière ce débat sur le porte-avions se cache un débat bien plus fondamental. Celui de la place et de l’ambition de la France dans le monde. La France doit-elle jouer un rôle global? Est-ce vraiment nécessaire? Nos intérêts ne seraient-il pas mieux gardés par une posture similaire à l’Allemagne ou à l’Italie? Dans ce cas, un porte-avions serait un gadget inutile sans aucun  doute. Si en revanche la France aspire à peser sur les grandes affaires du monde, à peser dans les grandes confrontations militaires de demain, alors il lui faudra une marine globale et donc un porte-avions. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il se poser sérieusement la question des moyens, des ambitions et des intérêts.

EDIT: En lisant les commentaires sur Théâtre d’opération, je me suis rendu compte qu’une autre objéction a été soulevé. La vulnérabilité des porte-avions aux missiles ballistiques. Le sujet complexe, on se bornera à faire deux observations:

-les conditions nécessaires au succès d’une telle frappe sont multiples. La plus grande contrainte est sans aucun la détection et le ciblage. Il est tout à fait possible d’y échapper.

– si le pire arrivait, il existe des solutions techniques pour détruire les engins avant qu’ils touchent leur cible. L’US navy a rencontré un succès incontestable dans le devellopement de son système de défense anti-ballistique: le SM-3.

Reflexions rapides sur le nucléaire…

L’abolition des armes nucléaires est à la mode outre-Atlantique, il y a déjà eu l’appel de Kissinger maintenant il y a les déclarations du président Obama.

Tout cela laisse passablement perplexe, car qui peut prendre réellement au sérieux la perspective d’un désarmement nucléaire complet?

Prenez deux joueurs A et B. Le Joueur A dispose de forces conventionnelles très importantes capable d’intervenir à très longue distance.  Sa superiorité est telle que ses armées classiques à elles-seules constituent une force de dissuasion. Vous reconnaissez facilement les États-Unis. Maintenant le Joueur B,  c’est une puissance régionale avec une armée certes respectables mais rigoureusement incapable de résister à une attaque conventionnelle du joueur A.

Pour ce prémunir du risque posée par le joueur A quelle est la stratégie la plus rationnelle pour le joueur B? Elle n’est certainement pas de tenter de rattraper A et d’opposer soldats contre soldats,  avions contre avions et navires contre navires. Il faut chercher une rupture qualitative, elle peut aller dans deux directions. Soit par le bas en se préparant à un conflit irrégulier mais c’est une solution extra-ordinairement coûteuse et risqué. L’alternative est de tenter de développer des armes d’une puissance telle que les calculs conventionnels ne sont plus valables. Ce sont les armes bactériologiques et surtout nucléaires.  Une seul arme nucléaire sera capable d’anéantir le corps expéditionnaire de A. Certes le joueur A peut menacer de riposter avec ses propres engins nucléaires mais si B possède des missiles intercontinentaux il peut espérer dissuader A de choisir l’escalade. En fait,  B peut tout simplement dissuader A d’intervenir tout court.

La logique est imparable. On ne voit pas au nom de quoi des puissances moyennes comme le Pakistan, l’Iran ou encore la Russie pourraient avoir intérêt à un tel désarmement.  L’intérêt pour les USA en revanche est évident car leur superiorité conventionnelle suffit à elle seule à établir une dissuasion crédible. On comprend l’intérêt que suscite la proposition de l’autre coté du lac. Mais la simple logique montre que s’est voué à rester un rêve.

Clausewitz, la contre-insurrection et François Duran

Sur ce blog, perdre son temps dans des petits jeux intellectuels stériles est apprécié, surtout lorsque l’inspiration fait défaut qu’il faut à tout prix trouver quelque chose à dire(et qu’on est paresseux)…

Alors, voilà, l’une des grandes marottes ces derniers temps du très estimé(surtout ici) François Duran , c’est de nous rappeler que De la guerre peut aussi servir pour penser les insurrections et les méthodes de contre-insurrection.

Son argument se résume ainsi, certes les organisations insurrectionnelles ne rentrent pas  dans la grille d’interprétation de Clausewitz  comprise dans un sens étroit. La trinité peuple/armée/État ne fonctionne pas à première vue. Mais c’est une erreur voir de la mauvaise fois car l’armature que nous a laissé Clausewitz est souple et peut s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui. Ces groupes non-étatiques sont bel et bien animés d’une volonté politique, ils ont bien des membres spécialisés dans le combat et ils sont dépendants d’une population qui est à la fois leur soutien morale et matériel. Sans elle, aucun succès n’est possible, elle est même l’enjeu du conflit.

Bon, et alors? Pris dans un sens étroit la description ne semble être exact que pour un certain type d’insurrection avec une organisation hiérarchisée maitrisant la direction politique et militaire des opérations, « travaillant la population » (pour reprendre l’expression de François Duran) grâce à un effort planifié. Bref, une organisation prêt à substituer à l’appareil étatique, d’ailleurs disposant souvent d’une base territorial dans laquelle le pouvoir étatique ne peut agir. Le modèle est ici les insurrections communistes, le PC est le modèle absolu du genre.

Mais les insurrections ne réduisent pas à ce modèle là. L’Irak est un contre-modèle, plusieurs organisations avec plusieurs modes opératoires, avec leurs objectifs propres parfois et même souvent aussi bien en conflit avec leurs concurrents qu’avec le force militaire occupante.  Quel intérêt d’utiliser la trinité pour ordonner ce chaos?

Mais peu importe, revenons au premier mode, bon donc la trinité, ça marche. Et alors?  Et là il y a un problème. Car il n’est pas question de vouloir démontrer que la trinité trouve à s’appliquer dans les insurrections pour le plaisir. Il faut pouvoir en retirer quelque chose, une compréhension supérieur du phénomène. Or, cela ne semble pas être le cas. La trinité ne nous aide pas à comprendre la nature des relations qui se nouent entre l’organisation et la population hôte et cible, ne nous aide pas à comprendre l’enjeu du conflit et à déterminer les axes d’approches. Donc en tordant un peu le sens des mots et un peu d’ingéniosité, on réussit tant bien que mal à faire rentrer notre insurrection dans les catégories clausewitziennes. Et cela ne nous apprend pas grand chose.

C’est pire si un interprétation large de la composante « État » de la trinité est retenu. Car si c’est interprété comme « volonté politique », alors il semble que n’importe quel groupuscule terroriste peut rentrer dans la catégorie.

Alors certes, la manie de certains auteurs de vouloir enterrer le maître peut être agaçante. Mais cela justifie t’il pour autant de vouloir à tout prix interpréter dans les termes de Clausewitz  les insurrections modernes? Le général prussiens n’imaginait pas qu’une guérilla puisse vaincre une armée régulière, parfois son imagination avait des limites. Cela ne signifie pas qu’il faut sans cesse se référer à l’intention originelle de l’auteur et refuser d’appliquer ses concepts dans d’autres situations que celles prévues par  lui. Simplement, Clausewitz nous a légué une formidable boîte à outils mais on utilise pas une clé à molette pour enfoncer un clou.  Tout les outils ne sont pas forcement utilisables en même temps et dans toute les circonstances.

Bon voilà, la grenade est lancée.