L’armée russe, II

L’armée dans le système  politique

Le contrôle de l’armée par le pouvoir politique est une question qui se pose dans tous les régimes politiques. Samuel Huntington dans The Soldier and the State, proposait deux modèles de contrôles de l’armée.  Il y aurait un modèle de contrôle subjectif qui fonctionnerait par l’imbrication des sphères politiques et militaires et un modèle de contrôle objectif qui fonctionnerait par séparation des deux sphères et la reconnaissance aux militaires d’une certaine autonomie dans le cadre strictement professionnel. Dans ce modèle, l’Union soviétique utilisait un mode de contrôle subjectif ou les niveaux de décision politique et militaire étaient imbriqués grâce à l’institution du commissaire politique et la présence de militaire dans les plus hautes instances  de décision de l’Etat soviétique. Le passage à un modèle de contrôle objectif, le modèle des démocraties occidentales, supposait un certain nombre de conditions préalable. Le commissaire politique devait être supprimé, un ministre civil devait être à la tête du ministère de la défense et l’exécutif et le parlement devait partager entre eux le pouvoir sur l’armée.

Pendant un temps, la Russie a semblé s’orienter vers un mode de contrôle objectif des forces armées. Gorbatchev supprime les commissaires politiques. En 1992, le parlement obtient un certain pouvoir de contrôle sur l’armée puisqu’il vote le budget. Et il est souvent question au tout début des années 90 de nommer un civil à la tête du ministère de la défense. Pourtant cette évolution  ne se poursuivra pas. En 1993, suite à une crise politique entre le président et le parlement, l’armée bombarde le parlement sur ordre du président. La nouvelle constitution de 1993 donne la prépondérance au président sur le contrôle de l’armée, trois ans plus tard, en 1996, une loi indique que le ministre de la défense n’applique que les décisions du président. L’exécutif entend s’assurer le contrôle exclusif de l’armée.

Le système actuel est donc un hybride entre le modèle subjectif soviétique et le modèle objectif occidental. Les débats sur la politique militaire sont tolérés mais le président conserve un rôle central. Par ailleurs les militaires conservent un rôle dans la définition de la politique de défense. En effet, les députés membres du comité de défense de la Douma sont souvent d’anciens généraux. Le ministre de la défense reste un militaire.  Cela a semblé changer avec l’arrivé de Vladimir Poutine au pouvoir.  En 2001, Sergueï Ivanov, un civil, est nommé à la tête du ministère de la défense. Mais c’est un ancien membre du KGB et il a dirigé le Conseil National de sécurité russe, ce qui nuance fortement son caractère « civil ».

Bien que sous la domination exclusive du pouvoir exécutif, l’armée est loin d’être inerte. Ainsi dans les années 90, Eltsine s’est bien gardé de pousser des réformes auquel les généraux était opposé afin de conserver leur soutiens. Les réformes plus vigoureuses de l’ère Poutine se sont elles aussi heurter à une vive opposition au sein de l’armée.

En dehors de l’institution militaire, les militaires sont directement présents en politique. Ainsi plusieurs généraux ont participé directement à la vie politique au cours des années 90 (ex : le général Lebed, vétéran de l’Afghanistan et gouverneur de région, fut candidat à l’élection présidentielle de 1996). En 1995, 123 militaires se sont présentés aux élections, 18 députés avaient été élus à la douma et 171 sénateurs au conseil de la fédération. Manifestement inquiet, le pouvoir a cherché à limiter cette participation. Une loi du 12 mars 1996 précise que les militaires ne peuvent se présenter que s’ils ont démissionné ou ont pris un congé sans solde. Puis, une loi du 1er Juin 1996 interdit aux militaires en activité d’adhérer à un partie ou de participer à la vie politique. Mais la loi est en réalité peu respectée. La participation des militaires restent aujourd’hui bien plus importante que dans d’autres pays européens, en 2003 ils représentaient  9% des effectifs de la douma et 15% du Conseil de la Fédération. Les militaires comme tous les citoyens ont le droit de vote, globalement ils sont plutôt conservateurs. En 2000, 80% des militaires avaient voté pour Poutine. Pour autant, bien qu’ayant une tendance conservatrice, il n’est pas possible de dire que les militaires forment un véritable lobby.

Dans l’administration présidentielle, la monté relative des siloviki ne se traduit pas nécessairement pas une influence plus importante des militaires. En effet, ils sont dilués dans l’ensemble des structures de forces, c’est-à-dire les organisations armées, comme le FSB, les gardes-frontières et les nombreuses autres organisations de l’appareil de sécurité russe. Par ailleurs, c’est d’abord la proximité personnelle avec le président (KGB, Mairie de St-Petersburg) plus que tout autre critère qui explique la montée de ces individus.

La conscription  au cœur du triangle Peuple/Armée/ Etat.

Le problème central de la réforme de l’armée russe est la conscription. C’est une question  complexe qui pose aussi bien la question des rapports entre l’armée et le politique qu’entre l’armée et la société.

L’armée soviétique tout comme son successeur l’armée russe est une armée de masse conçu pour un conflit majeur à l’ouest. Dans ce cadre, la conscription jouait un rôle majeur. Mais comme toute institution de ce type, sa valeur était loin d’être uniquement militaire. Le service militaire devait être le véhicule  des valeurs de la société soviétique. En mélangeant les peuples et les classes sociales de l’URSS, le service militaire devait contribuer à la création de l’homme nouveau soviétique. Les valeurs militaires avaient une place considérable dans le système soviétique au point que la société soviétique est qualifiée de société militarisée. L’organisation du Parti Communiste était calqué sur le modèle militaire, c’était aussi le cas de l’organisation du travail. Avant même le service militaire, les jeunes étaient en contact avec l’armée par l’intermédiaire des organisations paramilitaires comme le DOSAAF,  aujourd’hui devenu ROSTO, organisation technique et sportive de la défense.  Ces organisations sont toujours présentes aujourd’hui et Vladimir Poutine dès 1999 a voulu relancer « l’éducation  patriotique ».  Cette prégnance de l’institution militaire fait que 68% des russes ont eu une expérience militaire. Les anciens militaires sont très présent, le phénomène est si répandu qu’ils ont un nom : les dembel.

Pourtant malgré cette diffusion de l’esprit militaire dans la société, la conscription est crise. Par le jeu de diverse exemptions ou l’évasion pur et simple, seul 10% d’une classe effectue son service militaire aujourd’hui.  C’est un service particulièrement long, deux ans dans l’armée de terre et l’armée de l’air, trois dans la marine, et dont la réputation est exécrable. Le nombre d’accidents et de violences est particulièrement élevé.  Selon le procureur général militaire, en 1999 entre 700 et 1000 soldats aurait été tués hors de situation de combat. Ils sont souvent victime d’accident lors de l’utilisation de matériels vétustes et mal maîtrisé. La violence entre militaire du rang est courante et ancienne, ce phénomène est connu sous le nom de dedovshchina. La faiblesse du corps des sous-officiers et la disparition du corps des commissaires politiques chargés de l’encadrement contribuent à entretenir et aggraver ce phénomène. Dans ce système les anciens ont autorités sur les plus jeunes et imposent toute sorte de brimade qu’eux aussi ont subie par le passé. Le phénomène est très répandu et connu, lors d’un sondage effectué en 2006, 46% des personnes interrogés déclarait que l’évènement qui les avait le plus marqué était une affaire de dedovshchina très médiatisée.

L’impopularité du service militaire a contribué très tôt à la formation de la société civile, dès la fin des années 80 les comités de mère de soldats émergents pour dénoncer le système et aider les jeunes à échapper au service.  Le résultat de cette stratégie d’évitement par l’ensemble de la société russe est que le service militaire ne joue aujourd’hui plus aucun rôle social. Les appelés sont aujourd’hui remarquablement homogènes, ce sont pour la plupart des ouvriers et des paysans peu éduqués. Un ingrédient de base particulièrement un propre à la construction d’une armée mobile et sophistiqué comme les réformateurs l’envisage. Souvent ils amènent avec eux leur problème d’addiction, voire de criminalité, aggravant d’autant les problèmes sociaux auquel fait face l’armée. Il favorise la corruption : les exemptions se vendent entre 500 et 1000 dollars et certains officiers n’hésitant pas à louer les appelés comme une main d’œuvre à bon marché. Pour répondre à  l’impopularité massive du service militaire, les autorités ont tentés de mettre en place un service alternatif en 2002. Mais les militaires conservateurs, très hostiles à toute remise en cause du système actuel, ont  obtenu  qu’il soit entouré de conditions très restrictives. Par exemple  un appelé doit nécessairement changer de province pour effectuer ce service. Par ailleurs, dans sa configuration actuelle, le service militaire n’est plus capable de remplir les besoins en effectif. Le nombre de jeune entre 18 et 27 ans  ne permet aujourd’hui que de remplir 40 à 50% des besoins. L’équilibre actuel n’est donc plus tenable. La désaffection des jeunes pour l’institution militaire semble aussi toucher les écoles d’officiers qui rencontrent des difficultés pour recruter. Malgré ces problèmes que pose  le service militaire, l’armée reste aujourd’hui la troisième institution dans laquelle les russes ont le plus confiance après le président et l’Eglise d’après les sondages.

Vers une réforme en profondeur de l’armée russe ?

La conscription est un enjeu considérable pour les officiers conservateurs  à la fois attaché à leur conception traditionnelle du rôle de l’armée, préparer la guerre à l’ouest, et à leur place particulière dans la société ainsi que les nombreuses sources de revenus qu’offre le système. Ils se sont donc systématiquement opposés au cours des années 90 à une réforme à la profondeur du système. Et ce n’est qu’avec difficulté que le gouvernement Poutine a fait des progrès sur la voie de la professionnalisation au cours des années 2000. En effet comme il a été dit, la conscription est la conséquence d’une certaine conception des conflits et des menaces auquel doit faire face l’Etat. Le gouvernement russe est tout à fait conscient que le modèle de l’armée de masse est obsolète. Plusieurs documents prônent la nécessité de professionnaliser l’armée pour faire face à de nouveau type de conflit. En octobre 2003, le ministère de la défense a sorti un document, « objectif prioritaire en matière de développement des forces armées de la fédération  de Russie » qui met l’accent sur le rôle de l’information, de l’électronique et de la mobilité pour faire face à une menace ne venant pas de l’ouest, mais du sud, dans le Caucase et en Asie centrale. Ce n’était ni le premier ni le dernier document de ce type insistant sur la nécessiter de réformer et moderniser. Une armée de conscrit appauvrie et démoralisée ne rentre pas dans ce cadre.

Pour imposer sa volonté, le pouvoir politique limoge fréquemment les officiers supérieurs. Ainsi à la suite de l’affaire du Koursk, c’est 11 amiraux qui ont dû quitter leur poste. Beslan aurait aussi été l’occasion de faire tomber des têtes dans l’Etat-major général. Malgré ces limogeages, les progrès auront été limités sous Poutine. Une unité expérimentale, la 76eme division aéroportée, a été mise en place pour tester la professionnalisation en 2002. Depuis l’arrivée du Président Medvedev, le mouvement semble s’être accéléré. La crise géorgienne en 2008  a en effet montré les difficultés considérables de l’armée russes à mener des opérations militaires à l’extérieur même contre un adversaire très faible. Le nouveau ministre de la défense, Anatoly Serdyukov, veut profondément réformer l’armée en simplifiant l’administration et, mesure politiquement problématique, en diminuant considérablement le nombre d’officiers. Il y a actuellement un officier pour 2.5 hommes, l’objectif est de réduire ce chiffre à 1 pour 15. Au total c’est 200.000 postes d’officiers qui devraient donc être supprimés d’ici 2016.

Mais ces efforts ont un coût, le départ des officiers va nécessiter la mobilisation de ressources considérables pour payer les indemnités. La professionnalisation coutera elle aussi très cher puisqu’elle nécessitera d’augmenter les soldes pour pouvoir attirer et retenir le personnel. Le problème est d’autant plus compliqué que même dans une unité expérimentale comme la 76eme division aéroportée, 20% des effectifs sont encore composés de conscrits. La crise économique risque donc de remettre en cause les évolutions en cours.

L’armée russe n’en a pas encore fini avec l’héritage soviétique aussi bien sur le plan matériel que sur celui des organisations et des mentalités. Elle n’est déjà plus l’armée d’hier mais demain est encore loin.

L’armée russe, I

L’armée russe ou « l’armée soviétique de Russie »* ?

L’armée russe constitue aujourd’hui une force considérable avec plus d’1 millions d’hommes, 2700 avions, 190 navires et la charge de près de 3000 têtes nucléaires. C’est l’un des instruments les plus visibles  de la politique russe aussi bien à l’intérieur avec l’exemple de la guerre en Tchétchénie qu’à l’extérieur avec la guerre de Géorgie en 2008. Lorsque le gouvernement russe a voulu au cours des années 2000 signifier son retour sur la scène internationale avec une décennie d’effacement relatif, il a fait par l’intermédiaire de ses forces armées. Des bombardiers intercontinentaux ont recommencé leurs patrouilles et des navires  croisent dans les mers d’Amérique du Sud et de l’Océan Indien. Sur le plan interne, le début des années 2000 et l’arrivée de Vladimir Poutine semble pour beaucoup marquer l’avènement des Siloviki au pouvoir, les membres des structures de forces : FSB, ministère de l’intérieur et armée.

Ces développements posent la question de la place de l’armée dans le système politique et la société russe et son avenir. Derrière les gestes symboliques, quelle est la réalité ?

L’héritage soviétique.

Avec l’effondrement de l’URSS, l’ancienne République socialiste de Russie (RSFSR) aujourd’hui devenu la Fédération de Russie a hérité non-seulement des attributs diplomaties de russe comme le siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU  mais aussi une bonne partie du considérable appareil militaire soviétique. Ainsi dans le domaine militaire peut être plus qu’ailleurs, l’héritage soviétique domine à tous les niveaux.  La structure reste encore aujourd’hui la même, celle d’une armée de masse au sens du sociologue Karl Haltiner. C’est-à-dire basé sur un système de conscription dont l’armée tirait plus de 50% de ses effectifs avec un niveau technologique global relativement bas. Les matériels utilisés n’ont pratiquement pas changé, le nombre d’engins neufs reçus par les forces est extrêmement faible.  Enfin, l’héritage soviétique est encore présent dans les mentalités,  le corps des officiers n’a que peu été renouvelé et la «  mentalité de guerre froide » reste présente.

C’est un héritage peut  être vu comme une force, la nouvelle Russie hérite d’un potentiel militaire sans commune mesure avec ce qu’elle serait capable de financer aujourd’hui. Mais c’est une source de problème considérable. La découverte en février 2010 par des habitants de 200 chars abandonnés dans la forêt pas loin de Yekaterinburg est une illustration de ces difficultés. La fédération hérite en 1991 de  2,8 millions d’hommes, de la flotte sauf celle de la mer noire qui doit être partagée avec l’Ukraine, de toutes les troupes stationnées à l’étranger notamment les forces stationnées en Allemagne de l’Est et enfin de l’immense arsenal nucléaire soviétique. Toutefois l’accumulation des chiffres masquent le fait que le nouvel Etat russe n’hérite pas du matériel le plus moderne en raison du rôle de zone de réserve que jouait la RSFSR. Au total, 70% du matériel le plus moderne aurait été perdu ainsi. Les autres Républiques ont, à l’exception de l’Ukraine, demandé le départ des forces soviétiques qui sont pour l’essentiel identifié à Moscou c’est-à-dire à la Russie. Car, bien qu’officiellement soviétique, l’appareil militaire est dans une large part identifié aux russes. De sorte qu’au début des années 90, contrairement aux Etats baltes ou à l’Ukraine, le gouvernement russe n’a pas à construire un appareil militaire n’y s’assurer de sa loyauté à l’Etat. Son problème principal est d’abord de gérer le surdimensionnement de l’appareil militaire par rapport aux ressources de la Russie  et de s’assurer de sa loyauté au nouveau régime mais pas à l’Etat lui-même. Les deux questions vont se trouver liés dans les années 90.

De l’armée soviétique à l’armée russe

Au cours des années 90, la crise financière et la désagrégation des institutions vont considérablement dégrader l’état de l’armée. Pendant cette période, plusieurs tentatives de réforme vont tenter d’adapter l’armée au nouveau contexte. Ces efforts vont pour la plus part échouer mais les forces militaires ne connaîtront tout de même d’importantes mutations.

L’évènement le plus marquant est l’appauvrissement de l’armée russe alors même que l’Etat lui consacre une part considérable de ses ressources en 1992 avec 4.7% du PIB. Sur le plan matériel tout d’abord puisque presque rien de neuf ne sera reçu au cours des années, les hommes étant réduits à gérer difficilement des stocks considérables mais vieillissants. Les sous-marins de la flotte du nord sont un exemple dramatique et spectaculaire de cette dégradation,  beaucoup d’entre eux pourrissent au port avec des effets désastreux pour l’environnement. Plus grave encore, c’est l’appauvrissement des hommes. Ici comme ailleurs, la crise et la désorganisation qui s’ensuit touche durement et la corruption se développe. Le transfert des forces stationnées en Allemagne de l’Est sera pas exemple l’occasion de trafiques douteux organisés par des officiers. Pendant la première guerre de Tchétchénie le phénomène continue de se développer. Les rebelles sont armés en partie grâce à la complicité d’officiers russes corrompus. Dans les affaires les plus graves, on a même vus des officiers vendre leurs propres soldats comme otage. En 1996 et 1997 la situation financière est tellement grave que le versement de la solde pour les soldats a plusieurs mois de retard. Cette situation de pauvreté est durable : en 2002 46% des familles du personnelle du ministère de la Défense vivent sous le seuil de la pauvreté. Ces difficultés n’est pas propre à l’armée mais à l’image de la société russe qui a durement subi la transition. Et logiquement, cet état de fait a un effet négatif sur le moral des troupes. Pour faire face à la crise financière, les forces ont cherché des arrangements au niveau régional. Les commandants ont cherché des soutiens financiers auprès des gouverneurs en échange de service. C’est une résurgence d’une pratique ancienne, le shefstvo, qui remonte au début de l’époque soviétique. Cette pratique continue aujourd’hui mais sous le contrôle de Moscou. La Tchétchénie peut être vue comme l’aboutissement extrême de  la tendance à la régionalisation, une dissolution du pouvoir central, et la généralisation de la corruption.

Face à ces difficultés, le pouvoir est conscient que des réformes sont nécessaires et plusieurs tentatives seront faites dans les années 90. Certaines  aboutiront ainsi le PVO-Strany, la défense anti-aérienne du territoire russe, est fusionnée avec l’armée de l’air en 1997, de même la carte administrative militaire est révisé, les effectifs ont connu une baisse de 2,4 millions d’hommes, 580 unités ont été dissoutes. Mais l’Etat-major général conservateur est hostile et reste attaché au modèle d’une guerre de masse sur le front ouest. Face à cette opposition, Eltsine n’osera pas pousser très loin car il a besoin des forces armées. Celles-ci ne constituent pas un instrument aveugle du pouvoir politique mais ont leur place et leurs intérêts dans le système politique.

Mao, la guérilla et l’aventure américaine au Vietnam

World Affairs Journal publie un article tout à fait passionnant sur l’histoire de la doctrine de contre-insurrection aux Etats-Unis.

Et puisqu’il en est question, parlons un peu du World Affairs Journal.C’est une revue refondée en Janvier 2008 et  consacrée comme sont nom l’indique aux questions internationales qui a aujourd’hui sept numéros. Les articles sont d’excellentes qualités et valent  le temps de lecture.

En voilà des très intéressants:

Drunken Nation: Russia’s Depopulation Bomb, sur la situation démographique de la Russie et ses causes.

Cuban Days: The Inscrutable Nation, article saisissant sur Cuba.

Trapped by History: France and its jews, si, si, il arrive affectivement qu’un américain soit capable d’écrire quelque chose d’intéressant sur la France.

Not so huddled masses: Multiculturalism and Foreign Policy,  sur les communautés d’immigrants et leur influence sur la politique étrangère américaine.

Il y en a surement beaucoup d’autres qui mériteraient d’être signalé mais le temps manque explorer le reste.

La Russie ouvre son espace aérien aux transports américains.

Dans les discussions sur les armes nucléaires, un évènement significatif semble avoir été perdu. La Russie a donné son accord pour le survol de son territoire par des avions de transports américains à destination de l’Afghanistan. Au total se serait 4500 vol par an qui serait possible.

Le gouvernement russe permettait déjà à l’Allemagne de passer par son territoire en train pour assurer le soutien logistique des troupes allemandes déployés en Afghanistan.

Tout d’abord, cela confirme ce qu’on savait déjà: le gouvernement russe n’a aucun intérêt à voir les talibans l’emporter en Afghanistan. La Russie a déjà bien assez de problèmes avec les islamistes et les risques de déstabilisation en Asie centrale sont important.

Après cela pose un certain nombre de questions: entre autre, dans quelle mesure ces accords permettent de réduire la dépendance à la route pakistanaise (qui malheureusement est dangereuse)? Est-ce un prélude à un accord général avec l’OTAN?

En ce qui concerne la deuxième question, il est intéressant de mettre en parallèle cet accord avec son équivalent allemand. Dans les deux cas,  il s’agit de relations purement bilatérales et l’autorisation de transit ressemble plus à une faveur spéciale accordé qu’à un prélude à des discussions plus larges avec l’OTAN.

Débat AGS: La Russie, I

Le 25 avril 2005, Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie, déclarait que la chute de l’URSS était « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». Il n’y a pas beaucoup d’exemple plus spectaculaire de la différence de perceptions entre l’est et l’ouest de l’Europe. La Russie d’aujourd’hui n’est pas devenu une démocratie libérale contrairement aux espoirs du début des années 90. Sans doute était-ce une illusion de croire qu’il pouvait en être autrement compte tenu des facteurs à l’œuvre.

La Russie est différente, par sa masse d’abord, c’est le premier pays du monde par sa superficie avec 17 millions de kilomètres carrés, loin, très loin devant le numéro deux, le Canada et ses 9 millions de kilomètres carrés. Le tout est dispersé sur une dizaine de fuseaux horaires. Par sa population aussi, le pays le plus peuplé de l’Europe Occidentale, l’Allemagne compte 82 millions d’habitants, la Russie 142 millions.

Cette masse immense est sans aucun doute l’un des grands triomphes de la volonté humaine sur la réalité géographique. De Saint-Pétersbourg à Vladivostock les frontières du pays longent des espaces géographiques et culturels très diversifiés de l’Europe, Moyen-Orient, Asie centrale jusqu’à la Chine.

Pourtant, ces caractéristiques hors-normes de la Russie ne doivent pas nous cacher l’incontestable caractère européen de la Russie. En réalité la majorité de la population du pays réside à l’est de l’Oural et ses deux capitales historiques, Moscou et Saint-Pétersbourg, sont en Europe. Depuis, plus de 300 ans, la Russie est intégrée au jeux des grandes puissances européennes. Et non comme un partenaire encombrant bientôt victime des convoitises européennes à l’instar de l’empire Ottoman mais comme un joueur puissant avec qui il faut compter. La Russie des Tsars fait partie du concert des grandes puissances. Ses élites sont partie prenante des grands mouvements intellectuels qui traversent l’Europe tout au long des deux derniers siècles. Malgré les différences culturelles et historiques, il paraît difficile de nier le caractère européen de la Russie.

Européenne par la géographie et l’histoire, la Russie a pourtant pris un chemin bien différent du reste du continent. Alors que l’Union Européen et son ordre libéral s’étend presque sur toute l’Europe, la Russie suit son propre chemin, voulu comme celui d’une grand puissance avec ses impératifs et ses valeurs propres. Le langage est révélateur, aujourd’hui, il y a la « Russie » et « les européens ». Il est douteux que Napoléon ou Bismarck aient compris cette distinction.

L’éloignement se manifeste par une succession de crise qui intervienne à des intervalles de plus en plus courts:Kosovo, bouclier anti-missile, Ukraine, Estonie, Géorgie. Autant de sujets récurrents de disputes et même de conflits violents. Lorsque les chars russes entraient en Géorgie par une belle journée d’août, il fallait faire preuve d’un grand sang-froid pour ne pas trouver à cette sinistre affaire un désagréable parfum d’août 1914.

Il existe aujourd’hui deux thèses en apparence opposées pour expliquer ces divergences de plus en plus marqués et violentes. Pour les uns c’est l’Occident et les américains qui ont systématiquement violés leurs engagements en élargissant l’OTAN à l’est, portant ses frontière à 120 kilomètres de Saint-Pétersbourg, en installant des bases militaires dans des pays voisins de la Russie, en refusant de reconnaître ses intérêts spéciaux dans l’espace post-soviétique et qui tentent par tout les moyens d’affaiblir sa position. Pour d’autre, la Russie est gouverné par une élite autoritaire et corrompue obsédée par la nostalgie de l’empire soviétique, déterminée à reconstituer son ancienne puissance par tout les moyens et fondamentalement incapable d’accepter que ses anciens satellites soient autre chose que des vassaux.

Ce sont évidemment des caricatures et il existe des myriades d’analyses plus nuancées mais il s’agit là des deux grands pôles entre lesquels se répartissent les différentes versions des faits. Les deux versions ont évidemment des éléments de vérités mais se contenter d’une seule ne donne qu’une image très partielle de la situation.

Il incontestable que les élites dirigeantes, les fameux siloviki, c’est à dire les membres des « organes de sécurité » et plus particulièrement l’ex-KGB aujourd’hui FSB n’ont qu’une appréciation très modérée de la démocratie. Il coule de source que la chute de l’URSS ne peut pas être vue par eux comme un événement positif. On comprend donc que l’entreprise de restauration de la Russie passe pour eux par la restauration sinon de l’empire au moins d’une zone d’influence exclusive dans l’espace post-soviétique. Dans ce contexte il est difficile d’imaginer comment les hommes du Kremlin pourraient voir positivement le développement de l’influence occidentale dans cette espace. Espace qui est d’ailleurs dans bien des cas profondément lié à l’histoire de la Russie. Les pays baltes ont été intégrés à l’empire au XVIIIeme siècle, il n’est pas nécessaire d’insister sur le cas de l’Ukraine. Leur vision de l’histoire et de la puissance russe s’accommode très mal avec l’influence croissante de l’Occident dans ces régions. On imagine sans peine l’effet que doit produire sur ces élites l’idée d’une Ukraine ou d’une Géorgie membre de l’OTAN. L’affaire du bouclier anti-missile fait ressortir douloureusement la perte du glacis protecteur offert par le pacte Varsovie. Et s’y ajoute probablement la crainte de voir le précieux héritage nucléaire de la Russie devenir obsolète devant les avancés(peu importe la réalité technique, nous sommes dans le domaine du fantasme) en matière de défense ABM.

A l’inverse, il est difficile de nier la dimension idéologique de l’expansion indéfinie de l’OTAN et l’UE à l’est. Cette dimension est évidente dans les discours. Comment l’occident pourrait-elle avoir des intentions hostiles? Ne sommes nous pas du coté du bien, de la prospérité, de la démocratie? Comment ceux qui s’opposent à nous pourraient-ils être de bonne fois? Dans l’élargissement à l’est des piliers du monde atlantique, l’OTAN et l’UE, géopolitique et idéologie sont mélangées au point qu’il est bien difficile de faire la distinction.

Dans ces conditions, les frictions entre ces deux volontés antagonistes paraissent difficilement évitables. Mais sont-elles inévitables? Les relations entre la Russie et l’espace atlantique sont elle voués alterner entre phase de crise et brève accalmie. Ou existe il un moyen d’organiser une coexistence pacifique et même une coopération? A quel prix? Pourquoi?Ce sont ces questions qui vont nous occuper en ce mois de mai.

Billet publié simultanément sur Alliance Géostratégique.

Base navale en Abkhazie

Via RIA Novosti, une base navale sera bel et bien construite en Abkhazie plus précisément à Otchamtchira.

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L’hypothèse d’un port russe en Abkhasie avait été invoqué dès la fin de la guerre même si le site le plus souvent retenu étai plutôt Sukhumi. En lisant la dépêche les intentions ne sont pas très claires, s’agit-il d’une base d’appoint destiné à renforcer le contrôle russe sur la région, ou d’un remplacement de Sébastopol donc le bail prend fin en 2017?

Les mirages de l’or chinois

dollars vs yuanIl est souvent dit que le déficit commercial  américain est payé par la Chine. Et beaucoup s’en inquiètent ou s’en réjouissent, cette dépendance financière ne va t’elle pas se transformer en dépendance politique?

C’est une illusion. Cela n’a guère d’importance, deux faits:

-la Chine est loin d’être le seul créancier des États-Unis, il ne faut pas oublier le Japon, la Corée du Sud et beaucoup d’autres( voir ici).

-C’est une interdépendance. Il serait tout à fait suicidaire pour un gouvernement chinois d’utiliser cette masse financière comme moyen de pression politique.Les conséquences globales de la mauvaise santé américaine sont suffisamment visibles pour qu’il ne soit pas nécessaire de rentrer dans les détails.

D’ailleurs,  il est même envisageable que la crise aie pour effet de renforcer la position américaine sur l’échiquier économique global.

C’est donc probablement un mythe, mais un mythe intéressant. En effet, il est possible de faire un parallèle avec un autre mythe: celui de la dépendance européenne au gaz russe.

2008-08-11-caspian-pipelinesCette dépendance est elle aussi une interdépendance. Les exportations russes sont très peu flexibles, construire une pipeline ou un terminal gazier nécessite plusieurs années de négociation, de planification et de construction. Cela garantie pour longtemps encore que la Russie ne pourra faire n’importe quoi.

De plus, il existe un marché libre, certes plus limité que dans le cas du pétrole mais il existe. Et d’ailleurs il n’est certainement pas aidé par l’obstination monomaniaque avec  laquelle les États européens freine la libéralisation du marché. L’Europe ne  s’arrêtera pas de tourner avec ou sans gaz russe.

Il existe donc deux mythes de la dépendance et de la faiblesse. Une analyse rapide suggère pourtant qu’il ne s’agit que de mirages. Une sorte de « missile gap » imaginaire. Alors pourquoi ont-ils une telle emprise sur les imaginations?

PS: ce blog sera HS pendant une semaine.

Sur l’axe Paris-Berlin-Moscou

Ceci est un commentaire à l‘article de  Henri de Grossouvre  et Pierre Pascallon publié sur le blog EGEA.

L'Europe de l'Atlantique à l'Ural

Quelques objections:
On fait grand cas de la Russie comme puissance mondiale depuis le retour de Poutine.Est-ce vraiment le cas?Le pétrole(au prix très fluctuant) et les exportations d’armements suffisent-ils?

Le point N°1 est sans grand intérêt sans doute.Les évènements géorgiens et la simple réalité géopolitique montrent qu’un arrangement est souhaitable.Il est nul part expliqué sur quelle base cet accord peut être trouvé.Or c’est précisément là que le bas blesse.En effet, nul ne conteste la nécessité d’une coopération avec la Russie, c’est précisément l’objet du partenariat UE-Russie.Ce qui nous intéresse c’est de savoir si la Russie désire ce partenariat( sans doute, mais qui ne rêve pas d’un déjeuner gratuit) et  surtout à quelles conditions.Le coût sera t’il acceptable?Que devrons nous sacrifier?

Carte de l'EuropeSur l’architecture globale de sécurité.Un bref regard sur le mots est interessant.On y vois « de Gaulle », « Berlin », « la Russie ».Pas un instant est-il question de ceux pour qui l’enjeu est le plus fondamental car il conditionne leur survie: les pays d’Europe centrale et orientale.Un oubli sans doute, mais qui est très regrettable.Comment bâtir une maison commune dans de telles conditions?On parle beaucoup des intérêts et des craintes de la Russie, fort peu des intérêts de la Pologne et de la République tchèque qui par leurs comportements respectifs peuvent tout aussi sûrement que leurs puissants voisins saborder tout les efforts de coopération.

L’idée d’une Europe dégagée des influences extérieures est assez curieuses.J’ai du mal à comprendre ce que cela signifie.Je suppose que les auteurs veulent dire « dégagée de l’influence américaine ».Mais est-ce vraiment positif?Je comprend tout à fait la nécessité pour les États  de maintenir une balance entre les différents joueurs.Mais quel est l’intérêt dans l’affaire?Pourquoi vouloir exclure un des joueurs?Croient-on que l’intégration européenne sera plus facile dans les USA?Mais ce n’est manifestement pas l’objet de la proposition qui se place nettement dans l’optique de la géopolitique traditionnelle.Ce qui nous amène au dernier point.

Les auteurs  le disent eux mêmes, la Russie est une puissance avec ses intérêts.Au fond, quel est le rapport entre un accord euro-russe(en fait franco-germano-russe) et la « grande Europe…qui demain, après demain, pourrait bouleverser la donne sur la scène internationale ».C’est contradictoire, d’un coté il y a un vibrant appel dans la plus pure tradition réaliste et de l’autre, nous avons la « grande Europe » qui bouleverse l’échiquier mondial, ce qui suppose une intégration et une coopération étroite.Contradictoire car soit nous sommes dans un modèle réaliste traditionnel et par conséquent c’est le jeu des intérêt et de la puissance qui prévaut sans limitation de souveraineté, ou alors nous sommes dans un modèle fédéral donc régie par le droit supposé invariant selon que les acteurs soient riches ou pauvres, puissants ou misérables.

Quelque soit le cas, on ne voit pas le rapport avec la coopération franco-russe.  En effet, dans le premier cas, l’accord paraît sans grand intérêt.Pourquoi vouloir exclure les influences extérieures?Dans le second, c’est rigoureusement impossible puisque les auteurs ont rappeler que la Russie est une puissance autonome.

Voilà, au fond l’objection centrale.On voit bien l’avantage à une pacification des relations  mais un axe?Quel interêt?Ce n’est jamais vraiment définie.