Le budget de la défense et l’opinion

Secret Défense vient de trouver un sondage tout à fait intéressant sur « Les Français et la dette publique ».  Résultat: 45% des français estiment donc que s’il doit y avoir une réduction des dépenses publiques, le budget du ministère de la Défense doit baisser. Là où ça devient  plus intéressant c’est que 51% des hommes sont en faveur d’une réduction du budget de la défense en cas de restriction budgétaire contre 41% de femmes. En ce qui concerne l’age des personnes interrogés, il ne semble pas y avoir de clivage particulier ( des variations que quelques points mais rien de significatif).  Plus embêtant est la proportion des cadres supérieurs et professions libérales en faveur d’une réduction du budget de la défense (57%), elle est significativement plus élevée que la moyenne. On retrouve aussi le clivage droite/gauche avec 63% des sympathisants de gauche en faveur d’une réduction contre contre 34% à droite, pour les non-alignés c’est 42%.

Ces chiffres sont assez inquiétants et en même temps peu surprenants. Inquiétant parce qu’il montre que les soutiens dans l’opinion pour les armées sont finalement faibles. « Ne pas baisser la garde » est un discours qui ne marche que dans les milieux les plus politisés sur la droite de l’échiquier politique, une base singulièrement limitée. En dehors du clivage politique aucun autre groupe ne se distingue dans les réponses à l’exception des cadres supérieures, ce qui vue le poids particulier de ce groupe (les personnes ayant un rôle décisionnel significatif sont des cadres supérieures)  n’est franchement pas rassurant.

Peu surprenant finalement. Des sondages ont par le passé montré des résultats plus favorables, c’est qu’il y a une grande différence entre demander si quelqu’un veut un déjeuner gratuit (faut-il augmenter l’effort de défense?) et demander s’il faut sacrifier l’entrée, le plat principal ou le dessert (si on doit réduire le budget, où couper?). Entre l’enseignement ou la protection sociale et l’armée, le choix est vite fait dans un monde sans menace évidente et où l’armée est principalement engagée dans des conflits dont l’importance est contestée même au plus haut niveau.  En même temps, l’opinion conserve sa sympathie pour les soldats français mais ça, c’est sans douleur pour le porte-feuille.

De tout cela, on peut conclure qu’il faudra beaucoup de volonté politique pour que l’effort actuel se poursuive tout au long de la prochaine décennie et ce n’est pas vraiment une situation idéale. En un certain sens, les armées ont de la chance. Un bon nombre de programmes d’équipement majeurs tel que le renouvellement de la force de dissuasion nucléaire sont aujourd’hui pratiquement achevés. A ce niveau là, nous sommes un peu près tranquille jusqu’à l’horizon 2050. Malheureusement, il  reste plusieurs programmes clefs dont l’avenir risque d’être très incertain. Quel avenir par exemple pour le programme Barracuda, officiellement il devra remplacer les 6 SNA actuels mais vue son étalement ( premier exemplaire en 2016) , il ne serait pas surprenant que le nombre soit  réduit. Il subsiste encore des incertitudes sur le nombre final de frégates ou de rafales. Bref, en matière d’équipement il y a de quoi faire pas mal de dégâts. Mais une armée ce n’est pas que des équipements, ceux sont aussi des hommes qu’il faut former, les budgets dans ce domaine sont déjà contraint et manifestement ça ne va pas s’arranger. Enfin, c’est toute un infrastructure industriel qu’il faut faire survivre tant bien que mal si nous voulons conserver à l’avenir une certaine autonomie en matière d’armement (les déboires anglais avec le F-35 doivent nous servir d’avertissement dans ce domaine). Le grand drame de la défense est que les conséquences des choix fait dans les décennies 2000 et 2010 se feront sentir au-delà de 2050, dans un monde dont nous ne savons rien, alors que son budget doit se justifier au quotidien.

Profitons-en pour rappeler que le budget de l’État est un divisé en une trentaine de missions divisées en programme. La mission défense est dans sont ensemble menée par le ministère de la défense. Les crédits affectés à cette missions s’élèvent à 37 milliards d’euros dans la loi de finance 2010, le tout répartie entre 4 programmes. Pour les plus courageux, allez voir par là pour en savoir plus. C’est l’un des postes budgétaires les plus importants dans un budget qui s’élève à environ 350 milliards d’euros.

Nucléaire, Iran et Émirats arabes unis

Récemment un article du Figaro laissait entendre que les accords de défense signés entre la France et les Emirats donnait une garantie nucléaire à ces derniers. Quelques blogueurs ont récemment remarqué que le débat sur cette question était assez faible.

C’est que tout d’abord on ne sait pas grand chose pour l’instant ces accords de défense. Et c’est assez gênant, en lisant   la constitution pour se rafraîchir la mémoire, il est vite apparent que aussi important soit-il, cet accord peut être ratifié par le Président de la République sans autorisation du Parlement.

Article 53

Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.

Donc conformément à la tradition depuis 1958, il faudra compter sur la bonne volonté du président de la République pour être informé. Celui-ci a promis de faire approuver les nouveaux accords par le Parlement mais en attendant c’est lui et lui seul qui a le pouvoir de les ratifier et il n’a besoin de personne pour cela.

Cela évidemment ne facilite pas le débat. Mais au fond, la question  nucléaire n’est qu’un élément d’un débat plus large sur la politique française dans le golfe Persique et plus particulièrement vis à vis des Emirats arabes unis.

En effet, dans la mesure où une base est installée dans ce pays, la garantie nucléaire, au minimum contre une attaque du même type, coule de source. Si l’Iran devait  à l’avenir tirer des missiles balistiques équipés d’une charge nucléaire, il paraît claire qu’une riposte nucléaire ferait partie de l’éventail des options disponibles pour le Président de la République. En effet une telle attaque toucherais immanquablement la base française. De fait toute attaque de ce type serait automatiquement une attaque contre la France. En fait la même logique est à l’œuvre si l’Iran utilisait contre les Emirats des missiles balistiques avec des charges classiques ou chimiques. Peu précis, sans doute lancés en grand nombre, le risque qu’il touche la base serait important.  Pire encore, la nécessité militaire pourrait peut être contraindre l’Iran à frapper de manière préventive la base française dès le début d’un conflit alors même que l’engagement de la France ne serait peut être pas absolument certain.

A partir de là , on comprend facilement l’importance de cette base pour les Emirats, elle engage la France qui n’aura en pratique guère d’autres choix que de respecter les accords signés même si par ailleurs le gouvernement pourrait avoir des hésitations à ce moment. La France obtient donc un point d’appuis dans une région stratégique, les EAU un allié puissant dont l’intervention est quasi-certaine en cas de conflit.

Cela devrait sans doute faire l’objet d’un débat approfondi mais la question n’est, en tout cas, pas spécifique au nucléaire. Celui-ci est par définition dans l’équation dès le début.

Toujours sur le prix des armes

Un commentaire intéressant de Un spécialiste:

Je crois que vous surestimez comme beaucoup la hausse des prix des matériels depuis un siècle
En vérité la R&D coute et doit être décomptée du prix marginal car c’est un investissement de souveraineté. Investir 7 milliards de $ sur les 2 premiers DD51 dont 5 en R&D et industrialisation n’est rien quant on parle de l’épine dorsale de la flotte de surface US hors porte-avions pour les 30 ans a venir et qu’on a près de 400 milliards de $ de budget annuel.
Si on parle du cout marginal des matériels (le cout d’une unité supplémentaire) on s’aperçoit qu’il n’a pas tant varié que cela même si il a augmenté en général avec les performances , la complexité et la durée de vie (un avion d’aujourd’hui dure 10 fois plus).
Il ne faut pas oublier qu’il y a l’inflation naturelle de 2% annuel en moyenne (et qui a parfois été bien plus haute) c’est-à-dire +50% en 20 ans. Ensuite un deuxième facteur d’inflation qui est le cout du travail qui a explosé avec les retraites et la sécu.Puis la TVA qui n’a pas toujours existée et dont l’argent revient a l’Etat.
Si on fait abstraction de ces facteurs on peut alors travailler sur les prix réels.
Et la on s’aperçoit que les budgets de défense ne sont qu’une fraction de ceux qu’ils étaient même en temps de paix il y a 50 ou 100 ans. La France ne dépense plus 8, 6 ou 4% du PIB à sa défense comme par le passé mais 2% et à l’intérieur de ces 2%, le budget des fabrications à plus diminué encore que le budget défense (la part des personnels est bien plus élevée).Que les matériels ont une durée de vie par construction bien plus grande. Les séries sont devenues très faibles et on sait que la division par 10 des cadences de production peut facilement doubler le prix d’un matériel.En réalité quand vous tenez compte de tous ces facteurs vous vous apercevez qu’un B17 qui coutait 400 000 $en 1942 produits à des milliers d’exemplaires par an en couterait plusieurs dizaine de millions aujourd’hui.Que pour le prix d’un Leclerc vous n’auriez pas des centaines de char Renault B1 …mais même pas une demi douzaine aux prix de construction actuels !
Quand vous faite l’analyse capacitaire sur un avion de combat d’aujourd’hui en tenant compte de sa charge utile, de sa productivité (grâce a sa vitesse), de sa durée de vie, des séries et autres facteurs etc. vous vous apercevez que le cout des matériels…a baissé contrairement à l’idée reçue. 300 Rafales par exemple sont équivalents (sans même parler de l’électronique d’aujourd’hui) a plus de 2000 B17 en tonnage transportés et valent moins cher que cette flotte de B17 malgré un budget défense très faible et de très faibles cadences de production tout en ayant une durée de vie 8 fois supérieure par construction.La France n’avait pas une telle flotte de bombardiers en 1939 malgré presque 10% du PIB investis dans le réarmement.Et ce ne faisant abstraction de l’électronique et des performances supersoniques et de combat aérien.

Tout à fait intéressant. Hélas, cela ne change pas le fond du problème: la réduction constante du nombre de plateformes.





Clausewitz, la contre-insurrection et François Duran

Sur ce blog, perdre son temps dans des petits jeux intellectuels stériles est apprécié, surtout lorsque l’inspiration fait défaut qu’il faut à tout prix trouver quelque chose à dire(et qu’on est paresseux)…

Alors, voilà, l’une des grandes marottes ces derniers temps du très estimé(surtout ici) François Duran , c’est de nous rappeler que De la guerre peut aussi servir pour penser les insurrections et les méthodes de contre-insurrection.

Son argument se résume ainsi, certes les organisations insurrectionnelles ne rentrent pas  dans la grille d’interprétation de Clausewitz  comprise dans un sens étroit. La trinité peuple/armée/État ne fonctionne pas à première vue. Mais c’est une erreur voir de la mauvaise fois car l’armature que nous a laissé Clausewitz est souple et peut s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui. Ces groupes non-étatiques sont bel et bien animés d’une volonté politique, ils ont bien des membres spécialisés dans le combat et ils sont dépendants d’une population qui est à la fois leur soutien morale et matériel. Sans elle, aucun succès n’est possible, elle est même l’enjeu du conflit.

Bon, et alors? Pris dans un sens étroit la description ne semble être exact que pour un certain type d’insurrection avec une organisation hiérarchisée maitrisant la direction politique et militaire des opérations, « travaillant la population » (pour reprendre l’expression de François Duran) grâce à un effort planifié. Bref, une organisation prêt à substituer à l’appareil étatique, d’ailleurs disposant souvent d’une base territorial dans laquelle le pouvoir étatique ne peut agir. Le modèle est ici les insurrections communistes, le PC est le modèle absolu du genre.

Mais les insurrections ne réduisent pas à ce modèle là. L’Irak est un contre-modèle, plusieurs organisations avec plusieurs modes opératoires, avec leurs objectifs propres parfois et même souvent aussi bien en conflit avec leurs concurrents qu’avec le force militaire occupante.  Quel intérêt d’utiliser la trinité pour ordonner ce chaos?

Mais peu importe, revenons au premier mode, bon donc la trinité, ça marche. Et alors?  Et là il y a un problème. Car il n’est pas question de vouloir démontrer que la trinité trouve à s’appliquer dans les insurrections pour le plaisir. Il faut pouvoir en retirer quelque chose, une compréhension supérieur du phénomène. Or, cela ne semble pas être le cas. La trinité ne nous aide pas à comprendre la nature des relations qui se nouent entre l’organisation et la population hôte et cible, ne nous aide pas à comprendre l’enjeu du conflit et à déterminer les axes d’approches. Donc en tordant un peu le sens des mots et un peu d’ingéniosité, on réussit tant bien que mal à faire rentrer notre insurrection dans les catégories clausewitziennes. Et cela ne nous apprend pas grand chose.

C’est pire si un interprétation large de la composante « État » de la trinité est retenu. Car si c’est interprété comme « volonté politique », alors il semble que n’importe quel groupuscule terroriste peut rentrer dans la catégorie.

Alors certes, la manie de certains auteurs de vouloir enterrer le maître peut être agaçante. Mais cela justifie t’il pour autant de vouloir à tout prix interpréter dans les termes de Clausewitz  les insurrections modernes? Le général prussiens n’imaginait pas qu’une guérilla puisse vaincre une armée régulière, parfois son imagination avait des limites. Cela ne signifie pas qu’il faut sans cesse se référer à l’intention originelle de l’auteur et refuser d’appliquer ses concepts dans d’autres situations que celles prévues par  lui. Simplement, Clausewitz nous a légué une formidable boîte à outils mais on utilise pas une clé à molette pour enfoncer un clou.  Tout les outils ne sont pas forcement utilisables en même temps et dans toute les circonstances.

Bon voilà, la grenade est lancée.

Livre blanc sur la défense nationale chinoise 2008

Le dernier livre blanc sur la défense nationale  a été présenté le 20 janvier. C’est un exercice qui a lieu régulièrement depuis 2000.

Quelques points notés au fil d’une rapide lecture:

  • L’insistance sur la modernisation et surtout l’informatisation de l’armée populaire de libération. L’usage du terme RMA est très fréquent surtout adjoint à l’expression « avec des caractéristiques chinoises ».
  • L’impératif d’un équilibre entre développement économique et modernisation militaire est affirmé. Il est considéré que la modernisation et le développement des armées doivent profiter au développement national.
  • « Les opérations autres que la guerre » sont régulièrement mentionnées.De même que les opérations de contre-terrorisme et de maintiens de la paix( ce qui est cohérent avec le nouvel intérêt chinois dans ce domaine).
  • Le contrôle politique du parti sur les forces armées paraît être un thème suffisamment important pour être mentionné au début du chapitre sur l’éducation et l’entrainement. A ce sujet, il est révélateur que revienne constamment l’expression « développement scientifique », doctrine promu depuis plusieurs années par le président Hu Jintao.
  • Un chapitre entier est consacré à la nécessité pour l’armée populaire de libération d’opérer dans le respect de la loi. Cette emphase est sans doute en rapport avec les efforts pour construire un Etat de droit. Cela paraît curieux dans la mesure où le legislateur est une entité distincte du parti, l’assemblé populaire nationale.
  • La Chine compte sur les coopérations internationales  avec des pays avancés ou moins avancés pour le développement des technologies militaires.
  • Un chapitre est consacré à la coopération régionale et aux structures multilatérales notamment l’OCS et le Forum régional de l’ASEAN. Pas un mot en revanche de l’APEC où les Etats-Unis sont présent.
  • Le gouvernement chinois affirme vouloir maintenir un espace démilitarisé.

Ce livre blanc semble donc confirmer à nouveau l’évolution de la Chine vers une grande puissance avec une vision et une action globale.

Analyse complémentaire: Stratfor

Les forces nucléaires indiennes

famille AgniVia FAS strategic security blog, le Bulletin of  the Atomic Scientists publie une estimation de l’état des forces nucléaires indiennes. Depuis 10 ans, l’Inde s’est engagé dans un long et complexe processus  de développement d’une triade nucléaire complète.Malgré ces efforts, la dissuasion repose encore aujourd’hui essentiellement sur la puissance aérienne. Les missiles à courte et moyenne portée Agni I et II qui sont sensés former la composante terrestre ont des problèmes de fiabilité malgré leur entrée en service opérationnel, plusieurs années de maturation seront donc nécessaire pour qu’ils deviennent pleinement opérationnel.

Parallèlement, le développement des missiles ballistiques continuent avec Agni III et IV qui selon les autorités indiennes devraient former le gros des forces nucléaires d’ici 2020.

Enfin, l’Inde poursuit le devellopement de SLBM et de missile de croisière mais les avancés restent encore limitées.

Trois raisons pour rester en Afghanistan

Trouvé dans le DSI N°42 de Novembre 2008, à la fin d’un interview avec Etienne Durand, directeur du Centres des études de sécurité de l’IFRI.

« Un tel désengagement a un prix: les souffrances de la population afghane [1], la perte complète de contrôle sur le territoire et, donc,  sur les activités des réseaux djihadistes [2], enfin la poursuite probable du pourrissement de la situation interne du Pakistan [3] »

D’un  point de vue purement égoïste, si la première raison est assez faible, les deux suivantes paraissent très solides.