Thème du mois AGS: Vous avez dit low-cost?

L’expression même de « guerre low cost » semble être un oxymore, la guerre est l’une des activités les plus coûteuses auquel un groupe d’humains puissent s’adonner : coût financier, coût humain, coût matériel. Voilà bien longtemps qu’il est connu que les gains à espérer d’une guerre sont passablement aléatoire.  C’est que, comme l’a montré Clausewitz, la guerre a sa propre logique qu’aucun des joueurs ne peut maîtriser. Dans l’absolu, toute guerre doit aboutir à la montée aux extrêmes qui contraint chacun à faire l’effort maximal nécessaire pour vaincre quand bien même celui-ci aurait dépassé les seuils initialement prévus. Par ailleurs, la guerre est une affaire de hasard et de frictions imprévisibles qui rendent très difficile l’évaluation préalable des coûts. Combien d’Etats se sont lancés dans des guerres en pensant que ce serait une promenade ?

Pourtant les Etats n’ont pas cessés de trouver des moyens de faire la guerre à moindre coût. Et de la même manière que fort heureusement la guerre absolue n’arrive pas à notre porte tous les jours, les guerres peuvent garder un coût raisonnable pour celui qui en prend l’initiative ou pour le défenseur.

L’ Afghanistan est un exemple de conflit low-cost sous deux aspects. Le premier aspect c’est évidemment le très faible coût des moyens utilisés par les taliban pour combattre la coalition. L’équation financière est simple, il suffit de penser au prix d’une kalachnikov ou d’un IED et de le comparer au prix d’une heure de vol d’un avion de combat. C’est certain, les prix pratiqués par l’insurrection défient toute concurrence, et le rapport qualité prix semble être tout à fait honorable : voilà 9 ans qu’une coalition des pays les plus riches de la planète est mise en échec en Afghanistan.

Mais cette première analyse est trompeuse. En valeur monétaire l’effort anti-coalition semble faible mais qu’en est-il relativement aux ressources du mouvement ? Dire qu’un IED ne coûte pratiquement rien n’a pas de véritable signification s’il n’est pas comparé aux ressources effectivement mobilisables. Il faut trouver des travailleurs spécialisés pour concevoir les fameuses IED, payer les soldats et remplacer les pertes considérables, protéger et souvent remplacer les chefs, corrompre les fonctionnaires locaux, assurer la logistique, le tout dans des conditions difficiles car l’ennemie honni ne fait pas de cadeau. L’enjeu est total pour l’insurgé qui joue dans la guerre son existence même et doit mobiliser l’ensemble de ses ressources humaines et économiques pour survivre. Vous avez dit low-cost ?

A l’inverse, nous pouvons nous plaindre amèrement du prix d’une heure de vol sur un rafale, de l’entrainement des soldats et ainsi de suite, il n’en reste pas moins que l’effort que les États « occidentaux » assument pour leur armée est plus faible qu’à l’époque de la guerre froide et certainement même plus faible qu’à bien des époques. Songeons que si l’Etat français existe c’est parce que les rois de France avaient besoin d’un Etat pour financer et équiper leur armée. Aujourd’hui, c’est l’éducation nationale qui nous coûte le plus cher, un résultat qui sur le plan historique est tout à fait nouveau. Jamais nos ressources n’ont été aussi importantes et jamais notre capacité à détruire n’a été aussi efficace et spectaculaire. La coalition déploie de l’ordre de 90 000 hommes en Afghanistan, à ce jour 1641 soldats ont été tué en Afghanistan, il n’est pas très agréable de penser en ces termes mais force est de constater que c’est finalement peu. Il y a 150 ans, on aurait été heureux que la moitié de l’armée ne succombe pas sous les coups d’une maladie tropicale.

La volonté sans ambiguïté des États de limiter leur engagement en Afghanistan semble faire de ce conflit une guerre, sinon low cost, au moins limitée. Il manque peut-être pour que le tableau soit parfait un état final recherché parfaitement claire mais est-ce vraiment possible au vue de la nature du conflit ? Depuis 2009, on a même un horizon temporel : 2011.

La guerre limitée suppose logiquement (autrement elle serait totale) un zone géographique bornée et des ressources en homme, en argent et en temps proportionnées à l’enjeu. C’est ce que nous pratiquons depuis la fin de la guerre froide avec les interventions extérieurs. Cela ressemble à la guerre idéale : lointaine, politiquement peu risquée et peu coûteuse.

Pourtant cette apparence est trompeuse. L’Afghanistan le montre aussi, en 2002 des européens ont posé le pied en Afghanistan en pensant qu’ils s’engageaient dans une opération de maintien de la paix et de reconstruction, quelques années plus tard, c’est devenue une guerre. Comme quoi finalement les limites peuvent se dérober facilement. Vue sous cet angle, la guerre afghane semble avoir une fâcheuse tendance à sortir du cadre prévu.

Que tirer de tout cela ? Fort peu de chose, si ce n’est se souvenir à nouveau de Clausewitz : il convient de déterminer dans quelle sorte de guerre on s’engage. Avant de céder à la tentation d’envoyer les hommes en verts régler le problème, voilà quelque chose auquel il serait bon de penser très attentivement. Pour reprendre la métaphore économique, caveat emptor…

ZI/Nihil novi sub sole

Clausewitz, la contre-insurrection et François Duran

Sur ce blog, perdre son temps dans des petits jeux intellectuels stériles est apprécié, surtout lorsque l’inspiration fait défaut qu’il faut à tout prix trouver quelque chose à dire(et qu’on est paresseux)…

Alors, voilà, l’une des grandes marottes ces derniers temps du très estimé(surtout ici) François Duran , c’est de nous rappeler que De la guerre peut aussi servir pour penser les insurrections et les méthodes de contre-insurrection.

Son argument se résume ainsi, certes les organisations insurrectionnelles ne rentrent pas  dans la grille d’interprétation de Clausewitz  comprise dans un sens étroit. La trinité peuple/armée/État ne fonctionne pas à première vue. Mais c’est une erreur voir de la mauvaise fois car l’armature que nous a laissé Clausewitz est souple et peut s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui. Ces groupes non-étatiques sont bel et bien animés d’une volonté politique, ils ont bien des membres spécialisés dans le combat et ils sont dépendants d’une population qui est à la fois leur soutien morale et matériel. Sans elle, aucun succès n’est possible, elle est même l’enjeu du conflit.

Bon, et alors? Pris dans un sens étroit la description ne semble être exact que pour un certain type d’insurrection avec une organisation hiérarchisée maitrisant la direction politique et militaire des opérations, « travaillant la population » (pour reprendre l’expression de François Duran) grâce à un effort planifié. Bref, une organisation prêt à substituer à l’appareil étatique, d’ailleurs disposant souvent d’une base territorial dans laquelle le pouvoir étatique ne peut agir. Le modèle est ici les insurrections communistes, le PC est le modèle absolu du genre.

Mais les insurrections ne réduisent pas à ce modèle là. L’Irak est un contre-modèle, plusieurs organisations avec plusieurs modes opératoires, avec leurs objectifs propres parfois et même souvent aussi bien en conflit avec leurs concurrents qu’avec le force militaire occupante.  Quel intérêt d’utiliser la trinité pour ordonner ce chaos?

Mais peu importe, revenons au premier mode, bon donc la trinité, ça marche. Et alors?  Et là il y a un problème. Car il n’est pas question de vouloir démontrer que la trinité trouve à s’appliquer dans les insurrections pour le plaisir. Il faut pouvoir en retirer quelque chose, une compréhension supérieur du phénomène. Or, cela ne semble pas être le cas. La trinité ne nous aide pas à comprendre la nature des relations qui se nouent entre l’organisation et la population hôte et cible, ne nous aide pas à comprendre l’enjeu du conflit et à déterminer les axes d’approches. Donc en tordant un peu le sens des mots et un peu d’ingéniosité, on réussit tant bien que mal à faire rentrer notre insurrection dans les catégories clausewitziennes. Et cela ne nous apprend pas grand chose.

C’est pire si un interprétation large de la composante « État » de la trinité est retenu. Car si c’est interprété comme « volonté politique », alors il semble que n’importe quel groupuscule terroriste peut rentrer dans la catégorie.

Alors certes, la manie de certains auteurs de vouloir enterrer le maître peut être agaçante. Mais cela justifie t’il pour autant de vouloir à tout prix interpréter dans les termes de Clausewitz  les insurrections modernes? Le général prussiens n’imaginait pas qu’une guérilla puisse vaincre une armée régulière, parfois son imagination avait des limites. Cela ne signifie pas qu’il faut sans cesse se référer à l’intention originelle de l’auteur et refuser d’appliquer ses concepts dans d’autres situations que celles prévues par  lui. Simplement, Clausewitz nous a légué une formidable boîte à outils mais on utilise pas une clé à molette pour enfoncer un clou.  Tout les outils ne sont pas forcement utilisables en même temps et dans toute les circonstances.

Bon voilà, la grenade est lancée.